Août - Septembre 2023 : les décisions marquantes

Jurisprudence
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► Urbanisme. Permis de construire. Caractère incomplet de l’affichage et du dossier ► Fonctionnaires. Pensions civiles. Imputabilité au service d’un état de santé et accidents de service► Urbanisme. Permis d’aménager. Loi « littoral ». Installations conchylicoles► Ouvrages publics. Responsabilité pour défaut d’entretien. Recours spécial de plein contentieux ► Installations classées pour la protection de l’environnement. Usines de méthanisation. Contrôle du juge

Urbanisme. Permis de construire. Caractère incomplet de l’affichage et du dossier  

L’insincérité ne paie pas toujours, spécialement dans le domaine hautement conflictuel des permis de construire délivrés en milieu urbain.

Le propriétaire d’une parcelle urbaine bâtie située dans une zone de protection d’un patrimoine architectural remarquable avait souhaité transformer le préau attenant à la construction existante en un atelier d’un peu moins de 60 m² et avait déposé, à cet effet, un dossier de demande de permis de construire au vu duquel, après avoir obtenu le feu vert, indispensable dans cette zone, de l’Architecte des Bâtiments de France, le maire lui avait accordé le permis sollicité.

 C’était sans compter sur la vigilance du voisinage, pris en l’espèce en la personne (morale) d’une société civile immobilière, propriétaire du fonds contigu qu’il donnait régulièrement en location et à qui pouvait valablement être reconnu un intérêt à contester un tel permis et notamment à en demander la suspension en référé devant le tribunal administratif.

Encore convenait-il de l’avoir fait dans le délai de recours contentieux dont le code de l’urbanisme précise qu’il court, à l’égard des tiers, pendant deux mois à compter d’un affichage continu, complet et visible du permis de construire sur le terrain concerné.

Or, en l’espèce, le bénéficiaire du permis avait cru pouvoir se borner à ne mentioner, s’agissant de la nature de l’opération projetée, qu’il ne s’agissait que de la construction d’un atelier et non de la transformation du préau. Alors que ce dernier était effectivement visible du voisinage, les tiers ne pouvaient ainsi supposer que l’opération de construction d’un atelier, dont on pouvait supposer qu’elle concernait une autre partie du bâtiment, avait un impact direct sur l’aspect extérieur de ce dernier. L’insincérité des mentions portées sur l’affichage ont ainsi été regardées comme ayant empêché le délai de recours contentieux de courir à l’égard de la SCI dont la requête en suspension, bien que formée plus de deux mois après l’affichage, n’a pas été regardée comme tardive et a ainsi été déclarée recevable.

Plus encore, il est apparu au juge des référés que le dossier de demande déposé par le propriétaire comportait une inexactitude dont il n’était pas possible d’estimer qu’elle était involontaire puisqu’il s’agissait de rien de moins que l’implantation exacte du préau initial par rapport à la limite séparative des deux propriétés, ce qui avait pour effet de donner du projet une nature et une emprise différentes de celles pour lesquelles le permis était sollicité, induisant ainsi en erreur à la fois l’architecte des Bâtiments de France et le maire.

Le juge des référés, à qui n’est pas ouverte la possibilité de faire régulariser les décisions d’urbanisme dont il est saisi,  a donc sans hésitation suspendu le permis contesté.        

> Lire l'ordonnance n°2303659 du 4 août 2023

Fonctionnaires. Pensions civiles. Imputabilité au service d’un état de santé et accidents de service

Le statut général de la fonction publique ouvre droit, en faveur des agents publics en relevant, à un régime de prise en charge de ses frais médicaux et pharmaceutiques et de maintien prolongé de traitement lorsqu’ils subissent un arrêt de travail du fait d’un état de santé qui a été reconnu comme imputable au service soit qu’il s’agisse d’un accident de service ou de trajet, ou d’une maladie survenue à l’occasion du service.  Il n’est pas impossible à cette occasion que certaines affections psychiatriques ou nerveuses survenues à raison d’un contexte professionnel particulièrement tendu puissent être reconnues comme imputables au service et ouvrir droit aux prestations prévues par le statut. Tout est en effet une question d’appréciation par l’administration, sous le contrôle du juge administratif, des circonstances propres à chaque situation (agressions verbales de personnel en contact avec le public, assistance à un évènement tragique, harcèlement moral…) qui peuvent également inclure la prise en compte d’une fragilité antérieure de l’agent concerné.

En revanche, et on l’ignore encore largement, la législation sur les pensions publiques est beaucoup plus restrictive dans l’attribution des prestations qu’elle prévoit ; lorsqu’un agent public qui a obtenu la reconnaissance de son état de santé comme imputable au service mais n’a pas pu reprendre ses fonctions, est admis à la retraite pour invalidité, il ne peut, en plus de la pension dont il a constitué les droits durant sa carrière, bénéficier d’une rente viagère d’invalidité que si cet état de santé est consécutif soit à une maladie professionnelle (ce qui renvoie à une liste réglementaire préétablie de maladies correspondant, pour chaque fonction et chaque métier  à des risques professionnels connus et identifiés) soit à un accident de service.

Or, selon la jurisprudence, un accident de service répond à une définition précise, à savoir celle qui en fait un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.

En d’autres termes, si l’affection dont souffre le fonctionnaire ne peut ni être incluse dans la liste réglementaire des maladies professionnelles ni avoir été causée par un accident de service, elle ne saurait ouvrir droit à une rente viagère d’invalidité même si elle a été reconnue imputable au service tant que l’intéressé bénéficiait de congés de maladie avant sa mise à la retraite. On doit noter aussi qu’à la différence avec le régime applicable durant la carrière, les décisions relatives aux pensions doivent être prises conjointement par l’administration employeuse et le ministère des finances.

L’ordonnance du 8 août 2023 prise par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes offre une illustration de cette distorsion : une cadre de l’éducation nationale avait particulièrement mal ressenti, lors d’un entretien d’évaluation, la marque de défiance qui consistait, selon elle, à ne pas lui avoir confié la succession du chef de département dont elle était l’adjointe et qu’elle espérait. Elle avait été alors placée en arrêt de maladie et son état de santé avait été reconnu comme imputable au service jusqu’à sa mise à la retraite pour invalidité.

Elle avait même obtenu un titre de pension accompagné d’une rente viagère d’invalidité… mais moins de dix jours après, le ministère des finances s’est avisé de ce que l’octroi de cette rente ne répondait pas aux critères restrictifs énoncés par la loi et, comme il a le loisir de le faire pendant un an en cas d’erreur de droit, il a rapporté le premier titre de pension et a délivré à l’intéressée un autre titre ne comportant plus qu’une pension sans aucune rente viagère.

Le juge des référés, saisi d’une demande de suspension de cette décision, l’a rejetée en écartant l’argumentaire de l’intéressée qui soutenait qu’elle avait bien été victime d’un accident de service et en lui rappelant une jurisprudence bien établie (CE n° 440983 du 27 septembre 2021) selon laquelle sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, (lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires), un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.

> Lire l'ordonnance n°2303870 du 8 août 2023

Urbanisme. Permis d’aménager. Loi « littoral ». Installations conchylicoles

Le tribunal administratif a eu l’occasion, dans cette affaire, de rappeler l’interprétation qu’a donnée la jurisprudence aux dispositions de la « loi littoral » qui, à l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme, limitent l’extension de l’urbanisation des espaces proches du rivage (ou des rives des plans d'eau intérieurs) à celle qui répond aux conditions fixées au regard  de critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau, tels que justifiés et définis par le plan local d’urbanisme ou, à défaut, à celle qui est conforme aux dispositions d'un schéma de cohérence territoriale ou d'un schéma d'aménagement régional ou compatible avec celles d'un schéma de mise en valeur de la mer.

En l’espèce, le maire d’une commune littorale avait décidé de délivrer à une société un permis d’aménager un parc conchylicole permettant d’accueillir plusieurs exploitations dans une zone que ni le plan local d’urbanisme ni le schéma de cohérence territoriale n’avaient inclus dans la délimitation des espaces proches du rivage à laquelle chacun de ces deux documents avaient procédé. 

Le tribunal a toutefois rappelé que les dispositions de l’article L. 121-13 étaient directement opposables aux décisions d’occupation des sols (permis de construire ou d’aménager) et que leur légalité ne s’appréciait au regard des documents de planification que pour autant que ceux-ci soient eux-mêmes conformes aux exigences de la loi : la définition d’un espace proche du rivage ne saurait ainsi présenter une acception différente en fonction des documents locaux de planification alors qu’une jurisprudence constante leur a donné une définition combinant trois critères à savoir la distance séparant cette zone du rivage, son caractère urbanisé ou non et la co-visibilité entre cette zone et la mer. En d’autres termes, ce n’est pas parce que le plan local d’urbanisme, en compatibilité le cas échéant, avec le schéma de cohérence territoriale aurait ouvert à l’urbanisation une zone qu’il n’aurait pas, par ailleurs, délimitée comme espace proche du rivage, que cette qualification s’imposait au juge : en l’espèce, d’ailleurs, le tribunal a estimé, en appréciant directement son implantation au regard des critères énoncés par la jurisprudence, que la zone d’implantation du projet conchylicole était bien située dans un espace proche du rivage.

Il a en outre écarté la possibilité de valider l’autorisation au regard de la nature de l’activité rendant nécessaire la proximité immédiate de l’eau dès lors qu’un projet de près de 23 000 m² ne pouvait de toute évidence, dans cette zone, caractériser une extension limitée de l’urbanisation.  C’est pourquoi l’annulation a été prononcée sans possibilité de régularisation.

> Lire le jugement n° 2100774-2100779 du 15 septembre2023

Ouvrages publics. Responsabilité pour défaut d’entretien. Recours spécial de plein contentieux   

Les personnes subissant d’une manière ou d’une autre les nuisances liées à l’implantation ou au fonctionnement d’un ouvrage public bénéficient traditionnellement d’une voie de recours consistant en la possibilité d’obtenir devant le juge administratif une indemnisation en mettant en cause la responsabilité du maître d’ouvrage pour peu, si elles ont la qualité de tiers (et non d’usager) par rapport à cet ouvrage, qu’elles établissent un lien direct de causalité entre ce dernier et les préjudices dont elles entendent demander réparation, à condition que ces préjudices revêtent un certain degré de gravité et de spécialité. Ce mécanisme classique de mise en jeu, devant le juge du plein contentieux, de la responsabilité sans faute de l’administration ne garantit toutefois pas que les préjudices imputables à la présence permanente de l’ouvrage et à son fonctionnement ne se reproduisent pas de manière indéfinie pour l’avenir et les juridictions administratives ont exploré plusieurs pistes visant à traiter de manière plus durable, voire définitive, des situations conflictuelles liées à la présence d’ouvrages publics ; après avoir définitivement réglé son sort à l’ancien adage « Ouvrage planté ne se détruit pas », la jurisprudence a ainsi été amenée à se prononcer sur la possibilité pour le juge d’être saisi tout à la fois de conclusions aux fins d’annulation pour excès de pouvoir d’une décision refusant de remédier aux conséquences préjudiciables de la présence ou du fonctionnement d’un ouvrage public et corrélativement de conclusions aux fins d’injonctions.

Après quelques hésitations, le Conseil d’Etat a été amené, de manière particulièrement inventive, à construire une nouvelle voie de droit pour traiter ce type de situation, dans un arrêt du 6 décembre 2019 (Monte Carlo Hill, n° 417167) dont le présent jugement constitue une illustration particulièrement intéressante. Evitant soigneusement de créer un nouveau recours pour excès de pouvoir dans un litige relevant toujours par nature du plein contentieux, il a ingénieusement recouru à la notion de faute en estimant que le maître d’ouvrage dont la défaillance (défaut d’entretien normal, mauvaise exécution des travaux..) conduisait à pérenniser les préjudices dont étaient victimes les tiers requérants, pouvait se voir également enjoint de prendre toutes mesures de nature à faire cesser ceux-ci, sauf motif d’intérêt général ou disproportion manifeste de leur coût.  

En l’espèce, l’ouvrage public dont les requérants entendaient obtenir la suppression était constitué par une allée d’arbres bordant un chemin rural longeant leur propriété et appartenant à la commune. Le tribunal a rappelé aux intéressés qu’ils ne pouvaient demander l’annulation en excès de pouvoir des décisions du maire refusant l’abattage ou l’élagage de ces arbres qui leur occasionnaient toutes sortes de nuisances, mais, tout en notant que les préjudices qu’ils mettaient en avant n’étaient pas d’une gravité suffisante pour permettre la mise en jeu de la responsabilité sans faute de la commune,  a accepté néanmoins de leur faire bénéficier de la voie de droit issue de la jurisprudence Monte Carlo Hill.

La commune qui était directement à l’origine de la plantation de cette allée d’arbres et avait donc nécessairement manifesté son intention de continuer à entretenir cette dépendance de l’ouvrage public constitué par le chemin rural, devait ainsi être regardée, en s’abstenant de procéder à l’élagage régulier des arbres comme ayant commis une faute de nature à engager sa responsabilité et à permettre au juge administratif de lui adresser une injonction. On notera que le tribunal n’est pas allé jusqu’à ordonner l’abattage des arbres, ainsi qu’il lui était demandé, eu égard de l’intérêt général qui s’attachait à leur conservation.  

> Lire le jugement n° 2100710 du 21 septembre 2023

Installations classées pour la protection de l’environnement. Usines de méthanisation. Contrôle du juge

Le tribunal administratif était saisi par deux associations et un couple de riverains de requêtes tendant à l’annulation de l’autorisation d’exploitation sur une commune finistérienne d’une unité de méthanisation qu’a délivrée le préfet après avoir consulté les communes avoisinantes concernées par le plan d’épandage qu’implique une telle activité et organisé une enquête publique.

Le tribunal a relevé deux illégalités entachant une telle autorisation.

D’un point de vue formel, il a d’abord noté que la société qui avait déposé un dossier de demande plutôt concis s’agissant de ses capacités financières, n’y justifiait pas qu’elles lui permettraient tout aussi bien d’assurer l’exploitation de l’activité que de prendre en charge les coûts de remise en état du site à la fin de l’exploitation.

Mais il a également constaté, au terme d’une analyse technique poussée sur les conditions d’épandage des boues et digestats envisagées dans le projet, qu’elles n’étaient pas conformes aux règles  de protection de l’environnement eu égard à cette particularité que le quart de la surface concernée se trouvait précisément dans une zone identifiée comme bassin versant « algues vertes »  sans que la société ne démontre avec précision la manière dont elle entendait réduire les flux azotés induits par l’activité ni que le préfet, qui détenait pourtant ce pouvoir de prescription ne subordonne l’autorisation à des mesures plus contraignantes.

Si la première des irrégularités pointées par le tribunal était régularisable, il a toutefois estimé que la seconde qui touche le plan d’épandage, c’est à dire un élément central de l’activité de méthanisation, ne pouvait l’être et c’est la raison pour laquelle il a prononcé l’annulation intégrale de l’autorisation préfectorale.

> Lire le jugement n° 2300773-2300973 du 28 septembre 2023