Octobre - Novembre : les décisions marquantes

Jurisprudence
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► Contentieux fiscal. Réductions d’impôt pour dons aux organismes d’intérêt général. Forme juridique du bénéficiaire.► Économie. Régulation des rapports commerciaux. Contrôles des délais de paiement interprofessionnels. ► Collectivités territoriales. Fonctionnement des assemblées délibérantes. Huis clos.► Procédure administrative contentieuse. Audience orale d’instruction. ► Politique locale du logement. Contrôle de l’État. Sanctions.

Contentieux fiscal. Réductions d’impôt pour dons aux organismes d’intérêt général. Forme juridique du bénéficiaire.

Le législateur a, de longue date, institué des réductions d’impôts en faveur des contribuables qui consentent des dons et versements à divers organismes et œuvres d’intérêt général à caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel… Ce dispositif, qui constitue un encouragement à la générosité publique et permet de soutenir de nobles causes, ne saurait en revanche concerner les organismes qui poursuivent en réalité un but non entièrement désintéressé, c’est-à-dire ceux dont l’activité peut être caractérisée de lucrative.

En règle générale, en cas de contestation (par le biais, généralement et comme ici, d’une discussion initiée dans le cadre de la procédure de rescrit fiscal, déjà commentée à plusieurs reprises sur cette page) le juge se livre à un examen exhaustif et pondéré des différentes activités poursuivies par l’organisme prétendant à la reconnaissance de ce statut.

En l’occurrence, le tribunal administratif de Rennes a adopté une position plus radicale quoiqu’éminemment logique tirée de la forme juridique de la requérante qui prétendait à ce statut, celle-ci étant en effet constituée sous la forme d’une société commerciale (société à responsabilité limitée coopérative) :  interprétant, a contrario, les dispositions du code général des impôts applicables en l’espèce, il a constaté que les seules sociétés de capitaux qui étaient éligibles au dispositif étaient celles qui intervenaient, pour faire bref, dans le domaine artistique et que s’agissant de toutes les autres, leur forme juridique les excluaient nécessairement de la qualification d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général susceptibles de relever de ce dispositif.

Quand bien même la société requérante intervenait-elle dans le domaine du logement social et soutenait-elle avoir une gestion désintéressée, elle n’a donc pu obtenir la reconnaissance attendue.

> Lire le jugement n° 2100471 du 18 octobre 2023

Economie. Régulation des rapports commerciaux. Contrôles des délais de paiement interprofessionnels.  

La régulation des rapports commerciaux et économiques afin notamment de proscrire les pratiques déloyales est au nombre des actions que mènent traditionnellement les institutions européennes et figure parmi de telles pratiques prohibées celle qui consiste, pour un acheteur, à différer de manière abusive le paiement de ses fournisseurs. Une directive du 17 avril 2019 l’a rappelé et le code de commerce français en a transposé les orientations dans ses articles L. 441-11 et suivants, soumettant à des amendes administratives substantielles les pratiques de non-respect des délais de paiement énoncés, en particulier, dans le cadre des achats de produits agricoles et alimentaires périssables.

En l’espèce, dans le cadre d’un contrôle des délais de paiement de ses fournisseurs par une société spécialisée dans la collecte et la transformation de lait et la vente de produits laitiers, l’administration lui avait infligé une amende de 350 000 euros au motif qu’au vu des cent factures constituant l’échantillon contrôlé, ces délais auraient excédé les trente jours prévus par les dispositions applicables.

Après avoir réglé, dans le cadre de la jurisprudence relative au contrôle des sanctions administratives qui relève du plein contentieux objectif, la question du droit applicable aux faits de l’espèce, le tribunal administratif de Rennes a rectifié une erreur de méthodologie sur le mode de calcul du point de départ du délai, compte tenu de la nature des produits concernés et du caractère périodique de l’émission des factures. Il a alors, constaté qu’en pratique, aucune des cent factures contrôlées n’avait été payée au-delà du délai applicable ce qui l’a conduit à annuler la sanction infligée à la société requérante.

> Lire le jugement n° 2103687 du 18 octobre 2023

Collectivités territoriales. Fonctionnement des assemblées délibérantes. Huis clos.

Bien que le fonctionnement des assemblées délibérantes des collectivités territoriales (conseils municipaux, conseils communautaires, conseils départementaux, conseils régionaux) soit étroitement encadré par les dispositions législatives du code général des collectivités territoriales, celles qui prévoient qu’une assemblée puisse se réunir et délibérer à huis clos, c’est-à-dire hors la présence, pourtant traditionnelle, du public n’imposent que le respect d’une formalité particulière pour prendre une telle décision (initiative du président ou d’un nombre minimal d’élus, absence de débat sur cette demande, décision à la majorité absolue des membres présents ou représentés) : aucune règle ne vient préciser les motifs qui pourraient justifier la demande et la décision d’huis clos.

D’ailleurs, la jurisprudence administrative estime que cette décision ne constitue qu’un acte préparatoire à l’adoption des différentes délibérations prises au cours de la réunion de l’assemblée délibérante et que la contestation qu’elle peut susciter ne peut être portée qu’à l’occasion d’un recours dirigé contre ces délibérations, en soulevant alors le vice de procédure ayant consisté à avoir irrégulièrement prononcé un huis clos. Des conclusions dirigées directement contre cette décision sont donc irrecevables.

S’agissant du contrôle exercé par le juge dans le cadre du recours dirigé contre les délibérations elles-mêmes, il s’agit traditionnellement d’un contrôle minimum limité au détournement de pouvoir, à l’erreur de droit, à l’erreur de fait ou à l’erreur manifeste d’appréciation.

En l’espèce, l’assemblée délibérante d’une communauté de communes bretonne avait, en pleine épidémie de Covid 19, et alors que la réglementation préfectorale régulièrement adoptée dans le cadre du code de la santé publique, avait imposé le port du masque dans les établissements recevant du public, constaté la présence, dans le public, de personnes revendiquant leur refus de respecter une telle obligation. C’est ce motif qui avait justifié le recours à la procédure d’huis clos que, sans grande surprise, la juridiction n’a pas invalidé rejetant les requêtes en annulation que ces personnes avaient formées devant elle, y compris leurs conclusions indemnitaires dont elles n’avaient pas craint de les assortir.

> Lire le jugement n° 2106425 du 19 octobre 2023

Procédure administrative contentieuse. Audience orale d’instruction.   

La procédure contentieuse suivie devant le juge administratif est, c’est l’une de ses caractéristiques, « essentiellement écrite » : la juridiction ne peut en effet, en principe, asseoir la décision qu’elle prend pour statuer sur le litige, que sur les éléments de l’instruction écrite que les parties produisent devant lui par des mémoires et les pièces qui leur sont annexées. Les observations présentées à l’audience publique ne sauraient donc, à elles seules, justifier la solution du litige sauf à être corroborées par des écritures produites dans le cadre d’un renvoi d’audience et d’une réouverture de l’instruction.

Il est vrai que certaines dispositions législatives ont prévu, par dérogation à ce principe, que le juge puisse tenir compte des moyens et observations présentés à l’audience mais cela ne concerne que les procédures pour lesquelles l’urgence permet d’admettre cet assouplissement (référés, éloignement des étrangers).

Toutefois, eu égard au succès de l’expérimentation menée au Conseil d’Etat et inspirée de la procédure de mise en état applicable devant les juges judiciaires, il est apparu utile de proposer aux juridictions du fond de disposer d’un outil introduisant, dans la procédure contentieuse, la possibilité pour les parties de s’expliquer oralement sur certains éléments du dossier, soit dans le cadre d’une séance d’instruction en présence de la seule formation de jugement, soit dans le cadre d’une audience publique d’instruction qui se tient au moins une semaine avant l’audience de jugement.

Ce décret du 9 janvier 2023, codifié aux nouveaux articles R. 625-1 et R. 625-2 du code de justice administrative n’a, pour l’heure, guère été mis en pratique : les juridictions ne se sont pas encore clairement approprié cet outil qui, il faut bien l’admettre, peut être regardé, submergées qu’elles sont sous les contentieux de masse, comme très chronophage et ne pouvoir être employé que dans des cas bien particuliers.

La 4ème chambre du tribunal administratif a estimé opportun de recourir au premier des procédés, celui de la séance d’instruction dans le cas d’un dossier de refus de séjour d’un jeune étranger qui posait, de manière assez classique, une question de vérification d’un état-civil dont la préfecture contestait l’authenticité, alors qu’il importait d’abord que soient examinées contradictoirement certaines pièces originales dégradées dont, paradoxalement, la dématérialisation généralisée de la procédure rendait impossible l’examen approfondi. Il est, à cet égard, regrettable que l’administration n’ait pas souhaité collaborer à cette séance à laquelle elle avait été instamment invitée.

Faisant dès lors application d’une solution assez classique en la matière, cette démarche a conduit le tribunal a reconnaître l’authenticité de l’état-civil revendiqué par le requérant et à annuler la décision attaquée.    

> Lire le jugement n° 2304349 du 10 novembre 2023

Politique locale du logement. Contrôle de l’Etat. Sanctions.

Depuis plusieurs années, la loi (codifiée à l’article L. 302-8 du code de la construction et de l’habitation) prévoit que l’Etat assigne aux communes des objectifs de création d’un certain nombre de logements locatifs sociaux répondant à certaines caractéristiques de financement aidé et selon une périodicité triennale, en fonction du programme local de l’habitat (défini dans un cadre intercommunal par l’article L. 302-5) dans lequel elles sont réputées s’inscrire et auquel elles contribuent d’ailleurs par un prélèvement annuel sur leurs ressources fiscales.

L’incitation des communes à respecter ces objectifs trouve sa sanction dans le régime de contrôle pointilleux prévu par les textes qui fait intervenir, sur consultation du comité régional de l’habitat et de l’hébergement une procédure contradictoire menée devant une commission départementale spécialement réunie à cet effet et le cas échéant une commission nationale, qui permet de vérifier les réalisations et justifications présentées par la commune et peut déboucher sur le constat d’une carence de cette dernière au regard de l’objectif qui lui était assigné. Le préfet est alors en droit de prononcer une sanction administrative consistant en une majoration du prélèvement annuel sur leurs ressources fiscales.

Telle a été la mésaventure survenue, pour la période triennale 2017-2019, aux communes de Plérin et de Ploeren que les préfets des Côtes d’Armor et du Morbihan ont, après avoir constaté leurs carences respectives dans l’atteinte des objectifs de réalisation de logements sociaux, sanctionnées en décidant la majoration du prélèvement annuel auxquelles elles étaient assujetties.

Si, dans un premier temps, la commune de Plérin a, vainement, invoqué certaines irrégularités formelles de la sanction, les communes ont, toutes deux, vigoureusement tenté de faire valoir les contraintes et difficultés qui pouvaient justifier qu’elles n’aient pu atteindre leurs objectifs et de démontrer, dans le cadre du contrôle de proportionnalité exercé, en la matière, par le juge administratif, s’agissant de sanctions administratives, que les sanctions financières qui leur étaient infligées étaient trop élevées. Tout aussi vainement…puisque le tribunal a rejeté leurs requêtes.

> Lire les jugements n° 2101719 et 2102716 du 16 novembre 2023